Entre deux zoos

Aux environs de Vigo. On ne peut parler de la côte depuis A Coruna jusqu’ici sans parler de la population la plus nombreuse, et de loin, de ces contrées. Je veux nommer les chats et les chiens, los gatos y los perros. Les deux races se partagent chaque village à parts égales. Les félins se réservent les pentes, les rues qui montent, les escaliers qui leur permettent de bondir sur les toits. Les canins, eux, sont plutôt du bas, en bordure de mer, affalés lamentablement sur le goudron chaud. Gare à celui qui sort de son territoire. Aussitôt l’animal est jeté dehors, griffé ou mordu, selon. Ils ont un point commun, ils sont d’une laideur repoussante. Quand ce n’est pas une oreille, c’est un œil qui manque, et je parle des mieux lotis. En attendant ils sont sinistres. Rien n’est moins rassurant que de les croiser. Ce sont les baladins lugubres des consciences. On voit leurs formes s’ébaucher à travers la pluie, le brouillard, la tempête. Leurs nombrils sont hideux. Ces animaux sont le contrepoids tragique à cette région magnifique. Au moment ou l’Espagne rattrape en terme de progrès les nations les plus favorisées, cette gente animale semble être la part réfractaire qui sommeille dans tout espagnol. Elle extirpe les ordures des poubelles à l’heure du tri sélectif. Elle vole effrontément sur les étals des marchés à l’heure de la stérilisation forcenée. Elle se reproduit sans compter à l’heure de la contraception institutionnalisée. On a vu un chat se glisser dans une église par la faille d’un vitrail éventré, à l’intérieur, un chien laper l’eau du bénitier. Sacrilège des humains, privilège des bêtes. Jouissons sans entraves, miaule le matou cul de jatte. Il est interdit de m’interdire grogne le cleps aveugle. Et cette résistance a l’assentiment actif du citoyen. Il n’est pas de pas de porte sans victuailles éparpillées, sans gamelles d’eau fraîche. L’espagnol nourrit sans distinction, il sait se montrer généreux envers la rébellion bestiale.
Et si vous demandez à quelqu’un : à qui est ce chien ? Ce chat ?
Alors il vous regarde d’un air incrédule. Il ne comprend pas la question. A personne bien sûr. Quel fou aurait l’idée d’avoir un chat ou un chien a lui ? Ce ne sont quand même pas des animaux de compagnies.
L’espagnol est un révolutionnaire réservé et discret, il mène sa barque entre deux zoos.